JO de 1968 : deux poings levés... et un troisième homme, acteur lui aussi
Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt
sanctionnés
Le poing
levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du
statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le
lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux,
L'Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne
l'immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.
Leurs
carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d'abord suspendus
temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie
Smith vient pourtant d'établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les
200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant
1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.
Du podium à l'enfer
Les choses
empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient
leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des
menaces de mort. Smith se fait tout bonnement "virer" de son emploi
de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s'avère quasi-impossible. Même
l'armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du
médaillé d'or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il
reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.
Il faudra
attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action,
et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que
dans les années 90-2000.
Le "troisième homme", acteur à part entière
Si
l'attention s'est portée de fait sur la mutique provocation des deux
afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium
photographié par John Dominis. Ce troisième, c'est l'Australien Peter
Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à
ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière
de la scène.
L'idée est
bien celle de Tommie Smith. Mais c'est en l'entendant converser avec John
Carlos que l'Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat
"est aussi celui de l'Australie blanche". Ceux-ci lui demandent s'il
"croit aux droits de l'homme" et "en dieu". Norman
acquiesce, et se munit du badge de "l'Olympic project for humans
rights" qu'arborent d'autres sportifs noirs. On l'aperçoit nettement sur
le cliché. C'est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une
seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.
Aussi, si
Peter Norman jouit d'une moindre aura que de ses camarades - avec qui il
restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux
d'une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace.
Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas
non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera
l'espoir d'un avenir d'athlète.
Mais à défaut d'être lynché par l'opinion, il est
privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses
performances irréprochables. Obtenir une médaille d'or est un songe désormais
lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien
travail d'enseignant, qu'il perdra quelque temps après pour des raisons tout
aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d'un homme à celui
de milliers d'autres, qui n'aspirent pourtant qu'à l'égalité des droits. En
2000, 32 ans après le coup d'éclat de Mexico,
les autorités sportives de son pays lui
dédaignent encore l'accès aux jeux de Sydney
Il meurt
d'une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités,
font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur
défunt camarade.
Il n'auront
de cesse de louer la noblesse du "seul sportif blanc qui eut assez de
cran" pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et
rassembleur. John Carlos déclarera lors de l'inhumation: "Je pensais voir
la crainte dans ses yeux. J'y vis l'amour".
Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150805.OBS3729/jo-de-1968-deux-poings-leves-et-un-troisieme-homme-acteur-lui-aussi.html
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